Très sélective, la première année commune aux études de santé (Paces) oblige certains à se réorienter dès le deuxième semestre. Paroles d’anciens aspirants médecins qui ont changé de voie.
Claire se souvient « du coup de massue sur la tête [et] la sensation de vide extrême » quand, après une année et demie en fac de médecine, elle a appris son échec. Ils sont des dizaines de milliers d’étudiants, chaque année, dans cette situation : un bachelier qui entre en première année commune aux études de santé (Paces) a seulement 20 % de chances de réussir le concours en un an, et à peine 40 % en deux ans.
Certains doivent renoncer dès la fin janvier, quand les résultats du premier semestre rendent illusoire l’espoir de décrocher une place dans l’une des filières médicales, ou paramédicales, proposées dans leur université. Et pour ces étudiants qui ont souvent énormément travaillé, le changement de voie doit se faire à marche forcée.
Université et filières paramédicales
« L’échec à encaisser et le peu de temps pour faire des démarches [de réorientation] ne sont pas du tout propices à une bonne réflexion », explique Paul, 23 ans, en deuxième année de licence « Sciences du vivant » à Paris après deux échecs en Paces. Comme d’autres anciens ayant répondu à notre appel à témoignages sur lemonde.fr, il a regretté le manque d’accompagnement dans cette période charnière : « 80 % des étudiants échouent et rien n’est mis en place pour les réorienter ».
Un constat à relativiser : depuis la réforme de la Paces en 2010, les 15 % d’étudiants les moins bien classés peuvent, voire sont obligés, dans certaines facs, de se réorienter à l’issue du premier semestre. Cela contraint les universités à informer les élèves dès le début de l’année, et à mettre en place passerelles et autre « semestre rebond » permettant de bifurquer, selon ses résultats, vers une première ou une deuxième année dans une autre filière. En dehors de l’université, des passerelles avec les écoles de soins infirmiers, voire même des écoles d’ingénieurs, se sont développées.
Linda Cormenier, chargée d’orientation et d’insertion professionnelle à l’université de Poitiers, distingue trois profils : « Ceux qui étaient en Paces car ils apprécient les sciences » auront tendance à se réorienter vers les études de biologie ou de physique. « Ceux qui voulaient aider les autres, dans une démarche de soin », vont vers la psychologie ou les formations paramédicales. Enfin ceux qui « étaient dans cette filière plus pour le prestige ou le métier libéral » peuvent préférer le droit.
La moitié des réorientations à l’université
Qu’en est-il concrètement ? Sollicités, les ministères de la santé et de l’enseignement supérieur ne sont pas en mesure de fournir des données récentes. Selon une note portant sur les étudiants entrés en Paces en 2010, deux ans après, la moitié de ceux ayant échoué s’était réorientée à l’université, principalement dans des filières scientifiques (28 %), en sciences humaines et lettres (6 %, dont beaucoup en psychologie), en droit (5 %) ; et seulement 5 % des autres réorientations étaient connues, vers des classes prépas, BTS, école de commerce, école d’ingénieurs…
Rien sur le paramédical, mais une étude du ministère de la santé de 2016 montre que 5,5 % des entrants en Instituts de formation en soins infirmiers (IFSI) sont issus d’une Paces, tout comme 48 % des entrants en Instituts de formation en masso-kinésithérapie (certains d’entre eux ne recrutant qu’après une Paces), 10 % des apprentis podologues, 20 % des manipulateurs radio ou des ergothérapeutes, etc. Il n’empêche : les universités interrogées par Le Monde estiment à environ 30 % le pourcentage d’étudiants dont il n’est pas possible de connaître le parcours après la Paces.
Pour Claire, l’étudiante bordelaise citée plus haut, la seule réorientation qui lui « donnait vraiment envie était la passerelle en licence de biologie ». L’occasion de découvrir « avec quelques amis aussi rescapés de Paces » un nouvel environnement, celui de la fac, « sans compétition, avec du temps pour apprécier ce qu’on apprend, une promotion de personnes qui voulaient rattraper tout le temps perdu, sympathiser, sortir, boire un verre, etc. » Elle est actuellement en master enseignement (MEEF) pour devenir professeur de SVT.
Quand les étudiants peinent à faire le deuil du métier auquel ils rêvaient depuis longtemps, la solution réside parfois dans la rupture. Dans « une voie fondamentalement différente, pour construire quelque chose, ailleurs, qui n’alimente pas la rancœur ou la tristesse de ne pas “en” être », commente le pédopsychiatre Patrice Huerre. C’est une question de fierté aussi. « Infirmière ? Impossible pour moi, illustre ainsi Laurie, toulousaine de 20 ans. L’idée d’être dirigée par des gens qui avaient réussi là où j’avais échoué m’était impossible. » Elle est aujourd’hui une étudiante heureuse de fac d’histoire et souhaite un jour enseigner, une « façon d’aider les gens comme pourrait le faire à une autre échelle le médecin ».
Anne, 22 ans, en troisième année de psychologie après avoir « raté sage-femme de cinq places » lorsqu’elle était en Paces, a ainsi découvert que « la fac de psycho n’est pas pour les glandeurs » : elle est classée 25e de la fac, avec 12/20 de moyenne. Elle aimerait poursuivre en master thérapies cognitives et comportementales « pour aider les femmes enceintes et les couples ».
source: Lemonde.fr